Même si les fuites peuvent parfois avoir un effet dévastateur sur le business et l’effet de surprise de certaines compagnies, elles ont parfois du bon et révèlent des secrets bien gardés de l’industrie. C’est le cas avec la PS Vita, pour laquelle plusieurs documents confidentiels ont déjà dévoilé les coulisses de créations comme Uncharted: Golden Abyss, Resistance: Burning Skies ou encore Sly Cooper: Thieves in Time.
Ce nouveau document de production qui a fuité est encore plus intéressant, car il montre un jeu jamais sorti, bien qu’appartenant à une franchise en plein essor à l’époque : EyePet pour PS Vita.
Découverte du prototype EyePet pour PS Vita
C’est à nouveau via un utilisateur d’Archive.org que nous avons la chance de découvrir ces nouveaux documents dévoilant le prototype d’un jeu EyePet pour la PS Vita. Ces archives proviennent toutes d’un unique document PowerPoint. Cette présentation visait à faire valider (“greenlighter”) le projet EyePet auprès de décideurs.
Le document inclut donc à la fois des éléments de gameplay, un budget estimatif de production, ainsi qu’une estimation du montant idéal de vente pour atteindre le ROI (retour sur investissement). Cette présentation date d’octobre 2009, soit deux ans avant la sortie japonaise de la PS Vita. Les présentateurs étaient des employés de London Studio, feu l’un des studios anglais de PlayStation.
London Studio et les origines de la franchise EyePet
London Studio s’est notamment illustré sur SingStar, les jeux EyeToy, mais est aussi à l’origine d’EyePet. Les jeux EyePet reposaient sur un concept simple exploitant la réalité augmentée (AR) : le joueur, filmé par une caméra, pouvait interagir directement avec une petite créature au comportement proche d’un chien, mais à l’apparence de gremlin.

La série EyePet a été assez prolifique avec plusieurs épisodes sur PS3 : EyePet, EyePet Move Edition (mise à jour PS Move du jeu de base) et EyePet & Friends, tous développés par London Studio. La PSP a également eu droit à sa boule de poils avec deux jeux utilisant la Go!Cam (parmi les rares jeux avec Invizimals) : EyePet puis EyePet Adventures, tous deux développés par un autre studio britannique, Spiral House.
EyePet n’était pas une franchise du calibre d’Uncharted, mais cela ne l’a pas empêché d’atteindre plus de 1,5 million de ventes (selon VGChartz), un score plus qu’honorable pour un jeu familial de ce type. On pourrait penser qu’il était logique que London Studio veuille poursuivre la série sur PS Vita ; pourtant, lors de la présentation de 2008, le premier EyePet n’était même pas encore sorti — il faudra attendre 2009 pour sa sortie sur PS3. Il s’agit donc ici d’une tentative de création de franchise, plutôt que d’une simple continuation.

Les concepts de gameplay innovants pour EyePet sur NGP
La philosophie annoncée par le studio pour ce jeu était d’explorer le monde avec son EyePet et sa PS Vita (ou NGP, son nom de code à l’époque) en poche. Pour ce faire, le studio avait prévu une vaste panoplie d’interactions possibles avec la créature — un véritable Tamagotchi remis au goût du jour.
London Studio imaginait son jeu EyePet comme un véritable assistant personnel, en plus des interactions de jeu vidéo avec l’animal. Le jeu aurait largement exploité les capacités de la console, comme la géolocalisation GPS (notamment via la 3G), avec un système nommé S.L.A.M. (Simultaneous Localisation And Mapping — non, pas l’émission de France 3). Ce système aurait permis à l’EyePet de guider le joueur tel un GPS, en regardant sa PS Vita pour suivre ses instructions.

Le même principe aurait aussi servi à annoncer la météo à l’emplacement du joueur, ou à lui « apporter » le journal du matin via un flux RSS. Enfin, la présentation mentionne aussi des interactions avec d’autres créatures proches, à la manière de Near sur PS Vita, permettant d’échanger des objets ou de comparer ses scores avec d’autres joueurs.

Exploitation des fonctionnalités PS Vita : caméras, micro et tactile
D’autres fonctionnalités de la PS Vita étaient également exploitées, notamment les caméras et le micro. EyePet reposant déjà sur la caméra PS3 pour faire apparaître l’animal dans le salon, il semblait évident que ce concept soit repris, avec la possibilité de faire surgir la créature un peu partout. Un concept qui sera d’ailleurs réutilisé dans plusieurs jeux AR sortis plus tard.
L’un des aspects mis en avant, au-delà de la réalité augmentée, était la possibilité de se mettre en scène avec l’EyePet pour réaliser des séances photo entre amis, le jeu se voulant comme une vitrine technologique auprès des proches. La caméra avant aurait également pu permettre à la créature de détecter l’humeur du joueur et de réagir en conséquence.

Le micro, lui, aurait permis de parler à l’animal pour lui donner des ordres. Mais la fonctionnalité la plus étonnante était la possibilité de siffler pour faire « transiter » son EyePet entre la version PS Vita et la version PS3. L’animal visible sur la télé aurait ainsi pu être le même que celui sur PS Vita, avec une progression partagée entre les deux plateformes, via Cross-Save.
L’écran tactile était également mis à profit, comme l’indique une diapositive et surtout une vidéo de gameplay. Il aurait servi pour les mini-jeux, mais surtout pour interagir directement avec son EyePet : on y voit le développeur utiliser son doigt comme un pointeur laser pour attirer la créature ou la caresser. On imagine aisément que le pavé tactile arrière aurait pu avoir un rôle similaire, mais il n’est pas mentionné dans le document — sans doute pas encore finalisé à ce stade du développement de la console.
La dimension sociale et les partages sur réseaux
À la mode à l’époque et présent dans tous les pitchs de validation de projets PS Vita, le jeu aurait également intégré une dimension sociale, permettant de continuer l’expérience même une fois la console éteinte. L’interaction décrite consistait à créer et partager des tenues pour son animal via Facebook et Twitter.

Stratégie et budget du projet EyePet PS Vita
Comme mentionné plus tôt, ce document visait à faire valider le projet par les décideurs : une large partie de la présentation est donc consacrée à la stratégie business de EyePet NGP. Le document propose une étude comparative avec d’autres jeux du même style, comme Nintendogs ou Hamsterz Life sur DS. Le premier s’est vendu à plus de six millions d’exemplaires, tandis que le second n’a atteint que 338 000 ventes — soit moins que la somme totale des EyePet (plus de 1,5 million).
Le coût estimé du projet atteignait six millions de dollars, avec une équipe d’environ 24 personnes à son pic de développement et un budget marketing d’environ 780 000 €. Avec ces chiffres, plusieurs hypothèses de ROI étaient envisagées :
- 359 145 ventes si le jeu coûtait 15,65 € ;
- 179 081 ventes à 31,30 €.
Même si le prix de 31,30 € semble plus réaliste, c’est étonnamment celui de 15,65 € qui est le plus mis en avant, laissant penser que le jeu aurait pu être vendu à petit prix, peut-être exclusivement en dématérialisé sur le PS Store. L’objectif était une sortie en 2011, au lancement de la console ; on peut donc en conclure que, dès 2008, la date de sortie prévisionnelle de la PS Vita était déjà fixée chez Sony — et respectée.

Un design surprenant pour la PS Vita dans les documents
Dernier fait intéressant : les représentations visuelles de la PS Vita (ou NGP) dans la présentation. La vidéo de gameplay montre l’un des premiers kits de développement de la NGP, cette sorte de mini-tablette reliée à un écran — déjà apparu dans plusieurs fuites auparavant. Mais le plus surprenant reste les maquettes visuelles présentant la PS Vita comme un périphérique entièrement tactile, sans aucun bouton — bien plus proche d’un smartphone que d’une console portable.
Ce n’était pas une simple lubie de London Studio : ce design a bel et bien été envisagé à un moment du développement, comme l’a confirmé sur Reddit un ancien employé de Sony ayant travaillé sur Uncharted: Golden Abyss, expliquant que Sony voulait initialement produire un appareil proche de l’iPhone. Bend Studio, auquel il appartenait, aurait d’ailleurs joué un rôle clé en insistant pour que la console garde des boutons physiques.

Pourquoi EyePet n’a jamais vu le jour sur PS Vita ?
Cette nouvelle fuite offre un regard fascinant sur une période charnière de l’histoire de PlayStation, en plein développement de sa dernière console portable. C’est la première fois que nous découvrons ce prototype de PS Vita sans boutons, ainsi qu’un aperçu des coulisses de London Studio en pleine création d’une nouvelle franchise. Il y a fort à parier que Nicolas Doucet, créateur d’Astro Bot, n’était pas loin, puisqu’il a dirigé le premier EyePet sur PS3.
Au final, un autre jeu de gestion d’animal virtuel sera édité par Sony sur la console : PlayStation Vita Pets. Sorti en 2014, il a d’ailleurs été développé par Spiral House, le studio déjà derrière les EyePet PSP (2010 et 2011). Il serait intéressant de savoir ce qui a poussé Sony à abandonner ce projet au profit d’un concept similaire confié à Spiral House, ou si certaines idées de EyePet NGP ont finalement inspiré les versions PSP sorties quelques années plus tard.
EyePet NGP était imaginé comme un véritable compagnon virtuel, intégré aux outils de navigation, aux applications météo ou d’actualité, en plus de sa dimension ludique. Il est difficile aujourd’hui de déterminer où se seraient situées les limites entre les fonctionnalités du jeu et celles du système de la console. C’est peut-être justement cette frontière floue — combinée à l’absence de la licence en 2008 — qui a conduit Sony à ne pas poursuivre le projet.
Retrouvez ici la vidéo complète présentant le PowerPoint :